Quentin Saison & Mahault de Fontainieu
Le maire de Tardinghen, dans la baie de Wissant, regarde l’érosion du littoral avec inquiétude. Dans un laboratoire d’une université dunkerquoise, un chercheur du Laboratoire d’Océanologie et de Géosciences étudie le recul du trait de côte depuis plusieurs années. Le Nord et le Pas-de-Calais résisteront-ils ?
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« Si vous mettiez votre micro au-dessus d’un bocal de poissons rouges, vous auriez le même résultat. » Thibaut Ségard s’est fait une réputation, au fil des années. Maire de Tardinghen depuis plus de 15 ans, le quinquagénaire est en première ligne du combat pour la préservation du littoral. Il n’a pas peur de se mettre à dos les autres maires de la baie de Wissant, qui selon lui ne se saisissent pas pleinenement du problème que représente le recul du trait de côte.
Car en baie de Wissant, la mer menace toujours plus. Thibaut Ségard l’affirme : « depuis la guerre, on a perdu plus de 350 mètres de plage ». Derrière la dune où se tient le maire, à moins d’une dizaine de mètres des vagues, une maison attend que la mer vienne un jour l’engloutir. « En principe, les communes devraient racheter les biens. Mais qui paye ? Avec quel budget ? Nous notre budget annuel est de 160 000€. Si on ne trouve pas d’arrangement, on ira à la castagne avec les services de l’Etat. » Au moins trois maisons sont menacées, sur cette commune de 150 habitants peuplée surtout l’été.
Dans le reste du Nord, pas de risque imminent mais une nécessité d’anticiper
Dans le reste de la région, la plupart des maisons tiennent sur pieds. Olivier Cohen est géographe, spécialiste de l’évolution du trait de côte sur la Côte d’Opale. « Plus que de la montée du niveau de la mer, il faut se soucier de l’évolution des côtes. Même si le phénomène s’accélère, il reste pour l’instant de 3,4mm par an, c’est encore quelque chose d’assez faible. » Dans les prochaines décénnies en revanche, la hausse du niveau de la mer devrait s’accélerer. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) prévoit ainsi une hausse du niveau des océans horizon 2100 variant entre 40 centimètres (scénario optimiste) à 80 centimètres (scénario pessimiste). Pour l’instant, tout porte à croire que les scénarios les plus pessimistes vont l’emporter.
« Un mètre ça paraît peu pour des montagnards. Mais quand on habite sur des littoraux qui sont très bas, voire en creux comme avec les polders, c’est beaucoup. Un mètre de hausse du niveau de la mer, ça se traduit par des dizaines voire des centaines de mètres de translation horizontale [sur les terres] à marée haute. »
Olivier Cohen, géographe spécialiste de l’évolution du trait de côte sur le littoral Nord
Dans le Nord de la France, les polders peuvent inquiéter. « Ce sont des zones particulièrement vulnérables à la hausse du niveau de la mer, à longue échéance. » Situés sous le niveau de la mer, les polders résistent aux inondations grâce à des systèmes de pompages d’envergure.
« L’arrière-pays calaisien est une zone vulnérable », précise Olivier Cohen. « Tout le sud de Calais est une région de polders. On y est dans une cuvette en dessous du niveau de la mer, et la difficulté est d’évacuer l’eau de cette cuvette. Avec la montée du niveau de la mer, cette cuvette va devenir de plus en plus profonde, et on aura de plus en plus de mal à évacuer les eaux vers la mer. »
Comment protéger le rivage et les polders ? La solution toute trouvée, celle de l’endiguement, semble aujourd’hui désuète. Olivier Cohen explique : « Aujourd’hui le principe, c’est d’utiliser le plus possible des solutions fondées sur la nature. Tant que faire se peut, on reconstitue les capacités naturelles du rivage à atténuer les tempêtes. » Une méthode qui ne suffit pas toujours, comme dans la baie de Wissant. « L’idéal, dans ce cas, serait de pouvoir ramener du sable du large vers le rivage. » Au risque d’abimer les fonds marins et les dunes. Le dispositif est de toutes manières complexe à déployer. « En France, on ne dispose d’aucun bateau permettant de faire cela. On fait systématiquement appel aux Néerlandais, ce qui représente un coût important. Il faudrait pouvoir investir dans ce type de navires. »
Et comme le maire de Wissant, Olivier Cohen reconnait avoir du mal à se faire entendre de certains élus. « Nous [chercheurs] pouvons donner des conseils, mais ce sont les élus qui prennent les décisions. » Sont-ils à la hauteur ? « C’est pas toujours facile d’être entendu par les élus. Pourtant c’est important d’anticiper, et de prévoir sur le long terme. Non pas à l’échelle d’une ou deux mandatures, mais sur des décennies. Il faudra un jour se poser une question beaucoup plus stratégique de relocalisation des activités. »
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