On Perd le Nord, le podcast des enjeux environnementaux dans le Nord et le Pas-de-Calais Chargement en cours...

Dans le Nord, la forêt attaquée ?

Adrien Leroux et Quentin Saison

L’État, selon certaines associations, mènerait une politique d’exploitation intensive de l’un des principaux poumons verts du Nord, la forêt de Mormal. Dans un département ultra-artificialisé, notre rapport à la nature est à interroger.

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Dans le Nord, la forêt se fait bien rare. C’est l’un des derniers stigmates de l’exploitation minière qui a façonné le département durant près de trois siècles. Coincés entre les villes, les surfaces agricoles et les grandes zones commerciales, seuls quelques poumons verts subsistent dans le département, dont le couvert forestier est l’un des plus faibles de France – seul 8,6% du territoire est recouvert de forêt, contre 31% en moyenne dans le reste de l’hexagone.

Si la majeure partie des forêts du Nord et du Pas-de-Calais est privée, une forêt domaniale (qui appartient à l’État) demeure au cœur d’une polémique. L’association d’usagers Mormal Forêt Agir dénonce ainsi « la surexploitation » de la ressource en bois en forêt de Mormal. Problème : il s’agit de la plus grande forêt du Nord… et de l’une des plus riches en biodiversité.

« On nous fait croire que c’est pour le bien de la forêt, mais c’est purement financier »

Benoit Tomsen s’est fait une réputation dans le milieu de la foresterie. Ingénieur dans un bureau d’études, il porte depuis 2017 le combat de Mormal Forêt Agir. Dépité, il désigne une coupe rase du menton. « Cette coupe rase elle a deux ans. Vous voyez qu’en deux ans il ne s’est rien passé, rien n’a repoussé. » Il faut bien avouer que le paysage a un air de désolation. Le sol, excessivement boueux, est jonché de chutes de bois sur plusieurs hectares. Benoit Tomsen s’émeut. « On se croirait dans une plaine. C’est un peu Verdun quand même, il ne reste rien… »

Dans le Nord, la forêt attaquée ?
Benoit Tomsen, président de Mormal Forêt Agir.
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Une coupe rase en forêt de Mormal, le 4 février.

Pour l’association, le coupable est tout trouvé : c’est l’Office National des Forêts (ONF). Pour cause, c’est à cet établissement public, rattaché au ministère de l’Agriculture, qu’incombe l’administration sylvicole française. Un plan d’aménagement, que Mormal Forêt Agir a pu se procurer suite à des démêlés en justice, prévoit l’abattage d’une moyenne de 33 hectares de bois chaque année entre 2014 et 2033 – la forêt de Mormal s’étend sur un plus de 9 000 hectares.


Horizon 2033, l’équivalent de 600 terrains de football pourrait partir en coupes rases.


Mais selon Benoit Tomsen, qui a comparé le volume de bois écoulé entre 2014 et 2016 au plan d’aménagement de l’ONF, l’abattage aurait été supérieur de 40% à ce qui était prévu. Suivant une telle trajectoire, l’équivalent de 600 terrains de football pourrait partir en coupes rases en forêt de Mormal d’ici 2033. Des chiffres qui ne sont pas sans faire écho au zèle assumé par l’Office National des Forêts dans ce même plan d’aménagement, puisqu’entre 1999 et 2013, la quantité de bois prélevée en coupes rases a été supérieure de 20% aux prévisions.

Contacté, l’ONF n’a pas donné de suite favorable à nos sollicitations, ne « souhaitant plus alimenter de polémique ». Nos interrogations sur la possibilité de concilier (ou non) l’exploitation sylvicole et la préservation de la biodiversité resteront sans réponse, en dépit de notre attachement à la pluralité des points de vues.

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Un chêne centenaire, récemment abattu en forêt de Mormal.

D’autres usagers, très concernés par l’exploitation de la forêt de Mormal, préfèrent ne pas s’exprimer publiquement sur un « sujet explosif ». Mais en off, ils s’inquiètent effectivement des pratiques d’abattage, tout en nuançant le discours de Mormal Forêt Agir. Eric Penet lui, est naturaliste, photographe animalier et vice-président de l’association Objectif Mormal.

S’il admet volontiers l’impact négatif des coupes rases sur certaines espèces comme les cigognes noires ou les chauves-souris, il pointe du doigt l’intérêt de telles pratiques pour d’autres espèces. « Dans les milieux ouverts qui vont résulter des coupes rases, certaines espèces d’oiseaux comme le Busard Saint Martin ou l’Engoulevent d’Europe, qui nichent au sol, vont être positivement influencées, et trouver des milieux potentiellement favorables à la nidification, par exemple. La gestion de la forêt au quotidien doit permettre sur le plan écologique de tenir compte de toutes les espèces et de leurs exigences qui ne sont pas toujours les mêmes. Il faut parfois prioriser les enjeux. »

La forêt de Mormal affectée « prioritairement à la fonction de production ligneuse »

Mais si crime il y a, comme le laisse entendre Mormal Forêt Agir, à qui profite-t-il ? Benoit Tomsen rappelle à juste titre que l’ONF est lourdement endettée. « On nous fait croire que l’exploitation forestière, c’est pour le bien de la forêt. Mais c’est purement financier. L’ONF est en dette de 500 millions d’euros, comment est-ce qu’on peut être crédible avec ça ? Les gars coupent presque deux fois ce qui est prévu et disent que ça n’a rien de financier. Vous rigolez ou quoi ? »

Si la communication de l’ONF est travaillée, le ministère de l’Agriculture qui chapeaute l’établissement public prend moins de pincettes. En témoigne l’arrêté d’aménagement pris le 1er octobre 2015 et son article 1er. « La forêt de Mormal, d’une contenance de 9 123 hectares, est affectée prioritairement à la fonction de production ligneuse, tout en assurant sa fonction sociale et écologique. » La priorité est donnée : la production ligneuse, c’est à dire l’exploitation industrielle de la forêt, est l’objectif premier du ministère de tutelle de l’ONF.

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Une autre coupe rase en forêt de Mormal, le 4 février.
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Derrière ce panneau vantant les coupes de régénération… une troisième coupe rase.

L’exploitation du bois a par ailleurs des conséquences assez directes sur la biodiversité, au-delà de l’abattage d’arbres. Il est ainsi convenu que le passage d’engins agricoles a un impact direct sur la vie des sols forestiers, fragilisant la faune et la flore – l’ONF s’est toutefois récemment lancé dans des projets de cloisonnement, comprenez des travaux de voirie, pour limiter le tassement du sol.

« L’engrillagement » de certaines parcelles, afin de préserver les nouvelles pousses replantées par l’ONF de la faune sauvage, présente également un impact potentiellement négatif. En off, un connaisseur confirme : créer des barrières dans un écosystème est rarement une bonne chose pour la biodiversité.

« Un ne vaut pas un, on ne sait pas recréer la richesse du vivant qu’on détruit »

La forêt de Mormal n’est sans doute que le symptôme d’une industrialisation galopante dans le département. 22% de la surface du Nord, en 2019, était artificialisée, contre 10% en moyenne pour le reste de la France métropolitaine. Ce phénomène suit son cours au détriment des surfaces boisées et des peupleraies, trois fois moins importantes dans le Nord que dans le reste de l’hexagone.

Coincés entre le bitume et des champs labourés, quelle relation les habitants du Nord peuvent-ils développer avec la nature ? Laure Dobigny, socio-anthropologue au laboratoire Ethics de l’Université catholique de Lille, étudie le rapport entre nature et technique. Pour elle, notre rapport à la nature doit être interrogé. « Intuitivement la nature, c’est ce qui n’est pas l’homme. C’est une vision très naturaliste, très discutée, qui nous sépare de la nature. Des travaux récents remettent cela en cause, et se demandent dans quelle mesure cette nature vierge de l’homme existe encore. »

Difficile de dire ce qu’il en est, dans un Nord partagé entre des territoires urbains comme Lille et des milieux ruraux ou agricoles. Toujours est-il que le manque de verdure peut faire rougir. « De plus en plus d’études montrent qu’il y a un réel bien être, une amélioration de la santé, à la vue de la nature, rappelle Laure Dobigny. Ne serait-ce qu’en voyant un arbre par sa fenêtre. Il y a un vrai impact de cette nature sur nous ; je ne crois pas qu’elle ait disparu, mais il faut interroger la place qu’on veut lui accorder, notamment en ville. »

Dans le Nord, la forêt attaquée ?
Laure Dobigny, socio-anthropologue à l’Université catholique de Lille
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Une forêt proche de Lille

L’exploitation forestière, et indirectement celle de la forêt de Mormal, ne fait pas exception. « Il y a deux visions des choses. Celle qui consiste à restaurer ou conserver la forêt, ou bien celle qui revient à dire qu’on vit avec la forêt. On peut couper un arbre, mais on va s’attacher à ne pas couper toute la forêt, à mettre en place un système de renouvellement de la biodiversité, des sols. Il faut aller contre une vision très économique mais aussi parfois très technocratique de la forêt et du vivant, par exemple avec des systèmes de compensation ; un ne vaut pas un, on ne sait pas recréer la richesse du vivant qu’on détruit. On ne peut pas compenser les effets de notre action, il faut vivre dans la forêt, avec la forêt, de manière harmonieuse. » Elle relativise tout de même. « C’est plus facile à dire qu’à faire mais de nombreuses sociétés y arrivent ; on peut s’inspirer d’autres rapports à la nature. »

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Un nouvel album enregistré en forêt de Mormal

L’artiste originaire d’Hénin-Beaumont Toh Imago a sorti fin janvier son album « Refuge », enregistré en forêt de Mormal. Diffusé dans la deuxième partie de cette émission, l’artiste raconte. « Pour moi la forêt, c’est un endroit un peu paradoxal, un peu mystérieux. C’est une sorte d’ailleurs, de proximité. Mon dernier album je l’ai fait pendant le confinement, où j’avais besoin de cet ailleurs. J’ai pensé que mettre la forêt en toile de fond pourrait être une bonne idée. C’est un album assez immersif, une sorte de voyage dans la forêt de Mormal, on l’entend toujours en fond. »

Une réponse

  1. […] Perd le Nord s’arrête ici. L’érosion du littoral, la pollution de l’eau, la surpêche, l’artificialisation, eux, se poursuivent. Alors continuons massivement à parler d’environnement. Partout où cela […]

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