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Dans la guerre des gros bateaux, la Manche perd la pêche…

Angellina Thieblemont & Mahault de Fontainieu

Dans la Manche, le changement climatique et la pêche intensive viennent bouleverser un écosystème fragile. Le cabillaud se fait rare, le thon se répand, et les pêcheurs de Boulogne-sur-Mer peinent à lutter face à la concurrence des navires-usines.

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La Manche est-elle en train de se vider ? Des scientifiques étudient la question depuis des années. En novembre dernier, Gregory Beaugrand chercheur au CNRS et au Laboratoire d’Océanographie et de Géoscience de l’Université Lille Côte d’Opale, publiait une étude à ce sujet. Elle a permis d’aboutir à un système de modélisation, Fishclim, qui résume la manière dont a été affecté le stock de morues depuis 60 ans.

Aujourd’hui, si on pêche un cabillaud dans l’année c’est exceptionnel. Avant on en faisait des tonnes ; maintenant, c’est au tour de la sole. Comment on fait, nous, si tous les poissons qu’on péchait disparaissent ?

Merlin Laurent, pêcheur à Boulogne-sur-Mer depuis 30 ans

Depuis les années 2000 la tendance est inquiétante. En 2019, le facteur climatique était responsable de 64 % de la disparition des morues dans la Manche et la Mer du Nord, contre 46% pour la surpêche. Un constat alarmant, qui selon les auteurs du modèle Fishclim nous pousse à revoir notre manière de pratiquer la pêche. Pour eux, un réajustement dynamique des quotas de pêche en fonction du climat est nécessaire et retarderait l’effondrement des stocks de morue de près de 20 ans. Le modèle pourrait également être employé pour réguler la pêche d’autres populations, telle que la sole.

« Ils prélèvent jusqu’à 200 tonnes de poisson par jour » : la senne démersale, noeud du problème

Les pratiques de pêche industrielle dévastent les fonds marins et ratissent tout sur leur passage – c’est un consensus, partagé aussi bien par les ONG que par la recherche française, y compris chez Climfish. L’association Pleine Mer, qui travaille en collaboration avec des pêcheur artisans et promeut une économie en circuit court, met en avant les dangers de ce type de pêche. Elle a d’ailleurs réussi, avec l’aide de l’association BLOOM et des pêcheurs de petit chalutier, à faire interdire la pêche électrique à l’échelle européenne.

Mais leur nouvel adversaire n’a pas encore rendu les armes : c’est la pêche démersale. Cette pratique, notamment employée par les navires industriels néerlandais, permet de couvrir en un passage de filets jusqu’à 3km2 de fonds marins.

“Cinq senneurs ratissent en une seule journée une surface équivalente à celle de Paris !« , explique Thibault Josse, président de l’association Pleine Mer. 75 senneurs sont aujourd’hui autorisés à pêcher dans la Manche.

Même si cette technique est pointée du doigt depuis une dizaine d’années par les pêcheurs de la Côte d’Opale, qui constatent un manque de poissons et un difficile renouvellement des stocks après le passage des senneurs, l’Union Européenne a réitéré le caractère légal de ce type de pêche le 30 septembre dernier. 

Un désarroi grandissant

Si les populations de cabillaud se font de plus en plus minces, c’est aujourd’hui la sole qui tente à se raréfier. Et les premiers touchés sont les pêcheur artisans. Merlin Laurent, pêcheur depuis 30 ans à Boulogne-sur-Mer, se désole. « La sole il y a quelques années, on en faisait 40 tonnes par an. Maintenant on fait même plus 10 tonnes.« 

Un décalage énorme, quand on sait que les bateaux usines sont capables de pêcher 200 tonnes de poisson par jour. Les petits pêcheurs eux, peinent souvent à remplir le réservoir du bateau – 300€ tout de même.

Merlin Laurent continue. « Cette année à Boulogne on a pu pêcher deux gros thons et pas mal d’encornet, des espèces qui généralement se retrouvent plus au Sud mais qui sont remontées avec la hausse des températures. » Faute d’équipement, les thons lui passent sous le nez. Tant de difficultés qui entrainent une désertion du métier. Le port de Boulogne-sur-Mer a perdu 70% de sa flotille de petite pêche (des chalutier de moins de douze mètres). Un coup sur coup du Covid, du Brexit, de la diminution des stocks et de l’inégale répartition des quotas de pêche… 

Merlin Laurent est amer. « Moi j’ai commencé à l’âge de 16 ans, on est pêcheurs de père en fils. C’est à 6 ans que mon père m’a amené faire ma première sortie. Si on n’aimait pas ce métier, ça fait bien longtemps qu’on aurait rendu les bottes. »

Une réponse

  1. […] Perd le Nord s’arrête ici. L’érosion du littoral, la pollution de l’eau, la surpêche, l’artificialisation, eux, se poursuivent. Alors continuons massivement à parler […]

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